
Les Euménides : récit d'une transformation
Voici une histoire racontée par Eschyle, un des grands dramaturges grecs du VIe siècle avant notre ère.
Sa pièce Les Euménides fait le récit d’une transformation et nous offre de quoi nourrir des réflexions sur la posture d’accompagnant.
Le contexte est celui de l’épouvantable histoire des Atrides, cette famille qui ne vit que de meurtres, parricides, matricides, infanticides et d’inceste. Le cycle infernal de toute sa violence ne prendra fin que grâce à Athéna. Tel est l’objet de cette pièce qui marque le début d’une vraie transformation systémique.
Souvenez-vous d’Oreste, celui qui vient de tuer sa mère Clytemnestre et son amant Égisthe, parce qu’elle-même a tué son père Agamemnon, qui lui-même avait tué leur fille Iphigénie. Une vraie famille dysfonctionnelle !
Oreste est poursuivi par trois horribles Furies nommées les Erynies, déesses de la vengeance et de la justice divine, envoyées par sa charmante mère depuis l’au-delà pour le persécuter et la venger. Elles garantissent l’ordre moral en poursuivant impitoyablement ceux qui transgressent les lois.
Il se réfugie chez Apollon qui lui conseille d’aller chercher délivrance chez Athéna. Et c’est ici que débute le processus.
Athéna, sommée par les Erynies de juger Oreste comme criminel, propose de constituer un tribunal de sages athéniens et obtient sa grâce, non sans un petit tour de passe-passe pour lui donner sa voix. Elle parlemente avec les trois Furies afin de les calmer, jusqu’à trouver un arrangement.
La déesse leur propose un autre rôle, celui de gardiennes de la justice et même de faire partie des divinités protectrices d’Athènes. Elles acceptent et c’est ainsi que ces trois Furies deviennent les Euménides, qui signifie les Bienveillantes.
Désormais, elles laissent Oreste tranquille, chantent la beauté de la vie, et retournent sous terre dans leur domaine, guidées par la lueur de torches éclatantes, honorées par les hommes. A présent, elles distingueront leurs vertus au lieu de punir leurs crimes. La paix revient sur Athènes et beaucoup plus tard, Oreste finira son propre cycle de purification en épousant Hermione et règnera sur Argos.
Mais qu’a donc fait Athéna pour activer une telle transformation ?
Elle a habilement mis en place les conditions qui la rendent possible :
• écouter les Erynies pour comprendre leurs besoins, les apprivoiser,
• poser un cadre en demandant un tribunal pour juger Oreste, refusant de se poser elle-même en juge et ne cédant pas à la pression,
• élaborer une instance intermédiaire, faire du tiers, en conviant les plus sages athéniens à y siéger,
• faire preuve de stratégie en donnant sa voix pour l’acquittement d’Oreste car elle sait qu’il faut pacifier,
• leur donner une place, un rôle à jouer dans la vie des hommes au lieu de les rejeter, les juger ou les ignorer ; c’est inviter la lumière à éclairer l’ombre,
• faire appel à leur responsabilité afin qu’elles s’engagent à agir autrement.
Tout au long de l’histoire, Athéna modélise l’attitude nécessaire à l’accompagnement de toute situation qui demande à être transformée :
• prendre le temps pour voir ce qui advient ; elle n’avait pas défini la solution au début de l’histoire, elle s’ajuste au fur et à mesure et ne cherche pas à tout contrôler,
• faire confiance aux forces de vie de toute situation et de tout être,
• rester prudent, modèré, humble. Jamais elle ne sous-estime les autres, ni ne s’impose par la force. C’est pourtant une déesse, fille de Zeus ! Justement, elle ne joue pas à la déesse et reste profondément humaine, à l’écoute de tous les protagonistes pour conduire le processus.
Cette sage Athéna nous donne ici beaucoup de clefs pour accompagner les femmes et les hommes qui le souhaitent.
Nous portons tous notre potentiel de transformations, petites ou grandes, pour agrandir l’espace de nos vies et sortir de nos déterminismes, réels et imaginaires.
Et c’est là qu’un accompagnant joue un rôle crucial. Par sa posture et son travail, il peut permettre la rencontre avec d’autres parties de soi-même, rendant possible la création de nouvelles façons de faire, plus alignées et plus libres pour sortir des impasses.
Frédérique Voisard, janvier 2024
